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Nous le savons de longue date, la société édicte des codes, des règles de bonne conduite, un savoir-être qui s’imposent ou doivent s’imposer à tous. Si ce tropisme est légèrement moins prégnant depuis quelques décennies, il faudra encore du temps, et certainement beaucoup de temps pour que chacune et chacun puisse être ce qu’il est au fond de lui, au plus profond de son être, sans craindre d’être stupidement jugé au nom d’une pseudo morale compassée. Songez qu’en France, par exemple, il a fallu attendre le 4 août 1982 pour que l’homosexualité cesse d’être un délit et permette ainsi aux personnes homosexuelles de s’émanciper. Bien entendu certaines discriminations ont la vie dure portées par des idéologies fumeuses se répandant toujours dans la société par la voix de courants de pensée obscurantistes. Suivez mon regard…
Ainsi en est-il également du genre, le sexe dont la nature nous a dotés, probablement selon quelque algorithme qui nous échappe et qui devrait s’imposer à nous comme une fatalité. Or, nous en avons pris conscience, le corps et l’esprit ne s’accordent pas toujours, prouvant en cela que la nature elle-même, toute puissante soit-elle, peut également commettre des erreurs.
Dans son roman intitulé « Frédéric, instants de grâce » Dominique Faure bat en brèche l’archaïsme de nos schémas islamo-judéo-chrétiens, par l’entremise de la rencontre fortuite entre deux hommes devant être interviewés dans les studios de Radio 13 - Culture. Ecoutez plutôt :
« Je passe dans quinze minutes, juste après le compositeur de la musique du dernier film de Daniel Brant, seul membre de l’équipe à être arrivé à temps pour en faire la promotion. Je m’enquiers :
- Le compositeur… vous parlez de Frédéric Melcour ?
- C’est ça. Vous le connaissez ?
- Non, mais je l’ai vu en concert et je serais heureux de le rencontrer.
- Ça tombe bien. Il est juste derrière vous.
Je me retourne aussitôt. Il est tout près de moi en effet, un demi-sourire intrigué aux lèvres. Il me semble plus frêle que lorsque je l’avais vu, du fond de la salle, à demi dissimulé par le piano et les quatre autres musiciens du quintette. Sa main, que je serre dans la mienne, est fine et fraîche. Nous nous sourions. »
A partir de cette rencontre, un fil invisible et ténu va se tisser entre les deux hommes, un fil qui va devenir toile où ils se retrouvent tels deux araignées d’abord curieuses et un tantinet craintives face à cette situation inédite. Ce qui semblait presque incongru va s’imposer comme une évidence : ces deux-là nourrissent l’un pour l’autre une véritable passion, dévorante. Ils vont devoir se découvrir, physiquement et moralement, apprendre à accepter qui ils sont et non ce qu’on attend qu’ils soient n’hésitant pas pour cela à faire remonter à la surface des souvenirs dont certains s’avèrent particulièrement douloureux. Ainsi, Frédéric avouera-t-il à François (qui n’est autre que le double masculin de l’auteur) avoir été sauvagement violé à l’âge de 16 ans par trois autres lycéens plus âgés que lui. Cette terrible tragédie a laissé une terrible cicatrice chez le jeune Frédéric qui, depuis lors, a eu toutes les peines à accepter l’homme qu’il est devenu.
Il y a des livres qui vous bousculent, mettent à mal votre conception du monde. Le roman de Dominique Faure est de ceux-là. La preuve, il m’aura fallu presqu’un an pour réussir à mettre des mots sur le flot des sentiments, souvent contradictoires, qu’il a suscités en moi, sur la pudibonderie insidieuse qui, à mon insu, coulait dans mes veines ? Mais n’est-ce pas là le propre des ouvrages majeurs ? D’autres que moi ne s’y sont pas trompés puisque Dominique Faure vient de remporter le prix du roman Gay 2022 dans la catégorie Romance.
Si Dominique Faure n’hésite pas à appeler un chat un chat, elle ne tombe pourtant jamais dans la vulgarité primaire en décrivant les scènes intimes entre les deux protagonistes. Et, croyez-moi, l’exercice requiert une grande qualité d’écriture que cette docteure ès lettre possède à la perfection.
Alors, si vous aussi, vous êtes prêts à mettre de côté tous vos a priori, je vous conseille de vous laisser emporter par la fine plume de l’auteur qui, avec grand talent et non moins de cœur, fera tomber certaines barrières invisibles encombrant parfois nos esprits. Chapeau bas Madame !