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11 mai 2019 6 11 /05 /mai /2019 15:20

 

Voici six longues années déjà, sur ces mêmes ondes, je vous avais fait le panégyrique d’Haruki Murakami après m’être délecté de la lecture du premier livre de sa tétralogie 1Q84. Le temps a passé mais le constat reste le même : Haruki Murakami est un monstre sacré de la littérature, un auteur singulier, totalement inclassable sauf à le positionner au sein de la très fermée caste des génies. Oui j’ai bien dit des génies, rien moins.

 

Dans ce second volet nous retournons en 1984 et plus précisément au cœur de l’été durant la période entre juillet et septembre. Là, nous retrouvons les protagonistes du premier opus avec, par ordre d’apparition Aomamé l’improbable tueuse à gage professionnelle qui, rappelons-le, exécute les hommes avec un pic à glace qu’elle enfonce en un point précis de leur nuque. Puis Tengo, le professeur de mathématiques qui est également auteur, relecteur et correcteur de romans pour le compte de Komatsu, un éditeur singulier. Ensemble, dans le cadre du « prix des jeunes auteurs », porté par la revue littéraire dépendant de la maison d’édition, les deux hommes avaient découvert un manuscrit tout aussi énigmatique qu’envoutant « La Chrysalide de l’air » œuvre d’une jeune lycéenne de 17 ans, une certaine Fukaéri. Le texte, quoi que très prometteur, méritait toutefois d’être sensiblement repris avant d’être publié sans pour autant altérer le ton grave et enfantin de ce récit fantastique. Tengo s’était attelé à la tâche à la  demande expresse de Komatsu. Dès sa parution, le roman est devenu un véritable phénomène éditorial, un incroyable best-seller dont tout le monde parle au Japon y compris les grands médias. Bien entendu, il n’est aucunement fait mention de la réécriture opérée par Tengo, Fukaéri demeurant officiellement la seule auteure.

 

Rappelez-vous qu’au cours du livre 1, nous avons appris que les routes d’Aomamé et de Tengo s’étaient croisées, touchées même, alors qu’ils avaient dix ans et qu’ils fréquentaient la même école. De ce passé commun il leur reste une trace tout aussi invisible qu’indélébile, celle laissée par la main de la frêle Aomamé enserrant celle du grand et puissant Tengo. À ce moment précis quelque chose d’indicible s’était passé entre eux, une connexion sans égal, un lien d’une infinie puissance, comme une marque au fer rouge qui se serait imprimée dans leur cœur et dans leur âme. Quelque chose qui les aurait unis à leur insu, indépendamment de leur volonté, une force qui les aurait transportés dans un autre 1984.

 

En ce début juillet, Aomamé a rendez-vous dans la propriété de la vieille femme qui la missionne pour les assassinats qu’elle commet. Là, elle est accueillie par Tamaru, le garde du corps : « Tamaru ouvrit la porte du salon, laissa entrer Aomamé et attendit sur le seuil les instructions de la vieille femme. « Pour le moment, ça ira », dit-elle à Tamaru. Tamaru hocha légèrement la tête, sans un mot, et referma la porte doucement. Elles restèrent seules toutes les deux… D’un geste de la main, la vieille femme invita Aomamé à s’asseoir sur le canapé voisin ; les rideaux de dentelle blanche étaient tirés aux fenêtres donnant sur le jardin, mais la chaleur de cet après-midi d’été était très forte. Dans cette lumière, la vieille femme paraissait épuisée comme jamais. Effondrée dans son grand fauteuil, elle laissait reposer son menton sur ses bras minces. Ses yeux étaient enfoncés, les rides de son cou accentuées. Ses lèvre décolorées, et le bord externe de ses longs sourcils, comme las de lutter contre la gravitation, retombaient légèrement. »

 

Dans la langueur de cet après-midi d’été la vieille femme évoque alors longuement l’inquiétante disparition de Tsubasa, une jeune fille de dix ans qu’elle avait prise sous son aile et qui s’est volatilisée, volontairement ou pas, telle est la question. Cependant, la vieille femme, après avoir mené son enquête est persuadée que la disparition de Tsubasa a un lien direct avec le gourou de la secte des Précurseurs, celle-là même ou Fukaéri a grandi. Le gourou est un individu peu recommandable que la vieille dame a décidé d’éliminer. C’est ce qu’elle annonce à Aomamé « … il faut que nous réglions son compte à cet individu. Autrement dit, que nous l’expédions dans un autre monde. Vous savez déjà qu’il est coutumier de violer des fillettes d’une dizaine d’années. Dont aucune n’a encore eu ses premières règles. Il justifie ses actes en se servant d’un groupe religieux et d’une doctrine qu’il a bricolée à cet effet. »

 

 

Par un beau matin de ce même mois de juillet Tengo achète un journal dans lequel, à la rubrique « faits divers » la disparition de Fukaéri est annoncée, disparition qui, au moins officiellement inquiète son tuteur, l’ethnologue Takayuki Ebusino, mais aussi son éditeur Komatsu qui déclare craindre qu’elle n’ait eu un accident et qui, dans les colonnes du journal ajoute « Le livre figure au top des best-sellers depuis six semaines mais mademoiselle Fukada (le patronyme de Fukaéri) n’aime pas se montrer devant les médias. Je ne suis pas en mesure de savoir si sa disparition est à ce trait de caractère de notre jeune romancière. Mlle Fukada est une jeune femme très talentueuse, dont on peut espérer beaucoup à l’avenir. Je formule des vœux pour que nous la revoyions au plus vite, en bonne condition. La police poursuit ses recherches dans exclure aucune hypothèse. »

 

En fait, seules quatre personnes, dont Tengo, savent que Fukaéri n’a pas été enlevée mais qu’elle se cache. Quatre personnes seulement ? Pas si sûr, lorsque Tengo, après avoir dispensé ses cours reçoit la visite d’un curieux visiteur, un certain Ushikawa qui lui fait une proposition tout aussi étonnante qu’inquiétante.

 

Quel lien peut-il bien y avoir entre tous ces événements, entre tous ces personnages ? L’art d’Haruki Murakami réside dans cette capacité à tisser un savant écheveau dans lequel il nous entraîne progressivement, touche par touche, pas à pas, à nous faire partager le quotidien des protagonistes, leurs doutes, en saupoudrant avec son habituelle maestria des références culturelles qui tombent toujours à point, qui viennent soutenir le propos avec force et précision, qu’il s’agisse de musique, d’histoire de philosophie ou de religion. Seuls les plus grands auteurs ont cette capacité à distiller un savoir de bon aloi, un savoir qui ne s’étale pas en couches d’autant plus grossières qu’elles témoignent in fine d’une culture factice, en trompe l’œil.

Haruki Murakami est un maître absolu de la vulgarisation, et nous pouvons l’en remercier chaleureusement.

A ce titre, je voudrais profiter de cette chronique pour attirer l’attention sur l’association «  Rêves partagés » dont les membres œuvrent avec passion pour faire que la culture et les loisirs soient accessibles au plus grand nombre, et notamment aux enfants qui en sont encore trop souvent privés. Bravo à Lynda, Nassira, Cyril, Bernard et tous ceux qui mettent leur énergie au service de cette noble cause. Si vous souhaitez apporter votre contribution, rendez-vous sur le site de l’association Rêves Partagés. Vous y découvrirez qu’il existe de multiples moyens de partager, au-delà des simples dons en numéraires. Je sais que vous êtes généreux et que vous aurez à cœur d’apporter votre contribution, soit personnellement, soit via les sociétés où vous travaillez ou bien encore à travers les œuvres sociales et culturelles de vos comités d’entreprise. D’avance  merci pour eux !

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