L’action débute à la fin de 1945, période sombre où on solde les comptes de la seconde guerre mondiale.
Dans le prologue de ce roman, nous embarquons à bord d’un avion militaire britannique qui transporte un passager particulier devant accomplir une mission qui l’est tout autant dans une prison allemande.
Nous réalisons ensuite un bond dans l’espace et le temps. La première partie du roman nous propulse dans la province suédoise du Härjedalen, à l’automne 1999, où nous nous retrouvons en compagnie d’Herbert Molin, un policier retraité vivant seul dans un chalet isolé au beau milieu de la forêt, à quelques kilomètres de la petite ville de Sveg. A priori l’endroit rêvé pour couler une existence tranquille et sereine… sauf que :
« Il se réveillait la nuit, cerné par les ombres. Cela avait commencé à l’âge de vingt-deux ans ; maintenant il en avait soixante-seize. Pendant cinquante-quatre années consécutives, il avait été insomniaque. Les ombres ne l’avaient jamais quitté. A certaines périodes, en se bourrant de somnifères, il avait réussi à dormir jusqu’au matin. Mais au réveil, il comprenait que les ombres étaient restées présentes. A son insu.
Cette nuit qui touchait à sa fin ne faisait pas exception à la règle. Il n’était pas nécessaire d’attendre que surgissent les ombres, ou les visiteurs, ainsi qu’il les appelait parfois. Les ombres survenaient en général quelques heures après la tombée du jour. Soudain elles étaient là, comme surgies de nulle part, tout contre lui, avec leurs visages blancs et muets. Après tant d’années, il s’était habitué à elles. Mais il savait qu’il ne pouvait pas s’y fier. Un jour, elles cesseraient de se taire. Qu’arriverait-il alors ? Il l’ignorait. Passeraient-elles à l’attaque où se contenteraient-elles de le démasquer ? »
A cet instant précis, en cette nuit du 19 octobre 1999, Herbert Molin ne sait pas encore qu’il ne verra plus jamais la lumière du jour, qu’il va être sauvagement assassiné.
Quelques jours plus tard, le 25 octobre 1999, nous faisons la connaissance de Stefan Lindman, un jeune policier de 37 ans. Stefan est totalement angoissé. Ce matin-là, il doit se rendre à l’hôpital pour rencontrer le médecin devant lui remettre les résultats des examens médicaux qu’il a subis, après qu’il eût découvert une boule suspecte sur sa langue :
« A huit heures trente, il s’asseyait dans la cafétéria avec un café et le journal du matin. Mais il n’ouvrit pas le journal et ne toucha pas à son café. Au moment de frapper à la porte, il fut pris d’une peur panique. Il entra. Le médecin était une femme. Il essaya de lire sur son visage à quoi il devait s’attendre : grâce ou condamnation à mort. Elle lui sourit, mais cela ne fit qu’accentuer son désarroi. Que trahissait ce sourire ? Un manque d’assurance ? De la compassion ? Ou le soulagement de ne pas avoir à annoncer à un patient qu’il avait un cancer ? Il s’assit en face d’elle, pendant qu’elle rajustait quelques papiers sur son bureau. Après coup, il lui fut reconnaissant d’être allée droit au but :
- Il s’avère que cette grosseur que tu as à la langue est malheureusement une tumeur.
Il déglutit et hocha la tête. Il le savait, il l’avait toujours su, depuis ce matin dans la salle de bains d’Elena à Norrby. Il avait un cancer.
- Nous ne voyons aucun signe de dissémination. C’est un diagnostic précoce ; nous pouvons donc réagir sur le champ.
- Me couper la langue ?
- Non. Radiothérapie d’abord. Opération ensuite.
- Est-ce que je vais mourir ?
Il n’avait rien préparé. La question avait jailli d’elle-même.
- Un cancer doit toujours être pris au sérieux. Mais nous avons des techniques. Cela fait longtemps que ce diagnostic n’est plus synonyme d’issue fatale.
Il resta plus d’une heure dans le bureau du médecin. En ressortant, il était en sueur. Au creux du ventre, tout au fond, il sentait un point absolument froid. Une douleur qui ne le brûlait pas. Mais qui lui faisait le même effet que les mains du psychopathe autour de son cou. Il s’obligea à rester très calme. Maintenant il allait prendre son café et lire le journal. Ensuite il déciderait s’il était mourant ou pas.
Mais l’édition du matin avait disparu. A la place, il trouva un tabloïd. L’espèce de nœud glacé était là, sans arrêt. Il but son café en feuilletant le journal. Les mots et les images s’effaçaient de sa conscience dès l’instant où il tournait la page.
Soudain, un détail retint son intérêt. Un nom sous une photographie. Le titre de l’article parlait de meurtre. Il resta assis, à contempler ce nom. Herbert Molin, 76 ans. Policier à la retraite. »
Herbert Molin, Stefan le connaissait, c’est lui qui lui avait servi de chaperon quant il était entré à la brigade criminelle de Borås la plus grande vile de sa région natale. Herbert Molin avait été assassiné et Stefan se souvenait soudain que lorsqu’ils travaillaient ensemble, Herbert avait semblé avoir peur, craindre quelque chose ou plus exactement quelqu’un. Stefan repensa à ce jour où, à la poursuite d’un meurtrier échappé dans la forêt, il avait involontairement surpris Herbert pas derrière, lui affligeant une véritable terreur. Ce qui fit dire à Herbert: « J’ai cru que c’était quelqu’un d’autre ».
Mais de qui Herbert avait-il eu peur ? De celui qui l’avait finalement tué ?
Puisqu’il est en arrêt maladie en attendant que sa radiothérapie ne débute, Stefan décide de partir pour cette lointaine région du nord, le Härjedalen, pour tenter de comprendre ce qui a bien pu se passer. Mais Stefan ignore qu’il va se retrouver face à une énigme qui va faire remonter à la surface les horreurs du nazisme, certainement pas ce dont il avait besoin pour combattre sa propre peur de mourir.
Dans ce roman sombre et palpitant, Henning Mankel nous fait plonger au cœur d’une intrigue diabolique, avec un art consommé pour nous faire partager les pensées les plus intimes de ses personnages et, à travers eux, les interrogations de la société suédoise tout entière.
Si vous ne l’avez pas encore lu, réparez cet oubli sans tarder.